Peut-on réussir sans lever de fonds ?

Interview de Sylvie Gamet pour le blog French IoT du groupe La Poste, publiée le 2/12/2019

Selon le baromètre annuel du cabinet In Extenso Innovation Croissance, les start-up françaises ont levé pour 3,4 milliards d’euros de fonds en 2018. Ce montant record, en constante augmentation depuis quelques années, fait-il de l’investissement extérieur un impératif pour la croissance des jeunes pousses ?

Sylvie Gamet, fondatrice de Nowall Innovation et spécialisée en valorisation des actifs immatériels, nous livre son éclairage sur le sujet.

French IoT : De quoi parle-t-on quand on évoque la levée de fonds ?

Sylvie Gamet : Il s’agit d’une expression qui recouvre plusieurs réalités. Certains parlent de levée de fonds dès qu’un business angel entre au capital de leur société. À ce niveau, il s’agit, selon moi, plus d’un « buzzword » que d’un véritable tour de table. La levée de fonds désigne plutôt un stade avancé d’investissement avec l’arrivée de structures importantes comme les fonds de venture capital. C’est une étape qui consiste, pour une start-up en forte croissance, à se donner les moyens de poursuivre son développement. Et, dans certains domaines d’activité, elles peuvent difficilement s’en passer.

« Sur des business classiques comme le logiciel, la levée de fonds n’a rien d’obligatoire »

Fr.IoT : Justement, dans quels secteurs la levée de fonds est-elle une étape incontournable ?

S.G. : De manière générale, une start-up doit lever des fonds lorsqu’elle opère dans un domaine où il y a d’importants investissements à réaliser, où la recherche et le développement tiennent une place capitale et où il faut produire du hardware. Cela peut aussi être le cas d’entreprises qui doivent très vite entrer sur le marché international afin de trouver de nouveaux débouchés. Enfin, lorsque l’on travaille sur un marché où la durée de vie des produits n’excède pas deux à trois ans, il faut parfois alimenter la machine pour ne pas se faire oublier des consommateurs.

Fr.IoT : Certaines start-up peuvent donc réussir sans ce mécanisme ?

S.G. : Bien évidemment. Sur des business classiques comme le logiciel, par exemple, la levée de fonds n’a rien d’un passage obligé, même si elle est parfois présentée comme telle. L’économie digitale et l’hyper-croissance qui va parfois avec ont changé notre façon de voir les choses, alors que pour une start-up comme pour une PME traditionnelle, l’enjeu est souvent le même : créer des emplois, vendre son savoir-faire et générer du chiffre d’affaires. Une jeune pousse de l’innovation peut tout à fait se développer ainsi. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que c’est comme cela, loin des croissances exponentielles, que se sont construits les grands groupes.

« La levée de fonds prend beaucoup de temps et d’énergie, ce que les entrepreneurs oublient parfois »

Fr.IoT : Qu’est-ce qui motive un entrepreneur qui fait ce choix ?

S.G. : Quand l’un de mes clients en vient au sujet de la levée de fonds, mes questions restent les mêmes : En avez-vous besoin ? Qu’êtes-vous prêt à abandonner en contrepartie ? C’est souvent la clé du problème. Certains sont tentés de le faire parce que c’est un sujet dont ils entendent parler, alors qu’il y a d’abord un enjeu d’utilité. Les entrepreneurs qui se passent de levée de fonds s’inscrivent souvent dans un parcours différent, veulent préserver une indépendance qui sera forcément limitée par l’arrivée d’investisseurs.

Le cas de la banque en ligne Bunq est intéressant de ce point de vue. Certes, le fondateur Ali Niknam avait beaucoup d’argent personnel pour financer son projet, mais le modèle sur lequel s’est construite cette banque, en réaction à la crise de 2008, lui impose de limiter les apports extérieurs pour préserver la garantie d’éthique qu’elle fournit à son client.

Fr.IoT : Que gagne une start-up qui ne lève pas de fonds ?

S.G. : Au-delà de cette question de l’indépendance que nous évoquions plus haut, il y a un enjeu temporel. Réaliser une levée de fonds prend beaucoup d’heures et d’énergie, des paramètres que les entrepreneurs ne prennent pas toujours en compte avant de se lancer. Si vous voulez mettre votre business en sommeil pendant six mois pour faire un tour de table, il faut que l’enjeu soit vital pour l’entreprise, sinon vous êtes sûr de perdre sur tous les tableaux.

Rien n’empêche de ramener la start-up à ce qu’elle est au départ : une entreprise qui doit réfléchir à son modèle, créer des emplois, des actifs et se projeter avant de penser à dénicher des investisseurs. Car la vraie différence entre une start-up qui lève des fonds et une autre qui travaille à son succès en s’autofinançant réside souvent dans l’opportunité, qui ne se présente pas toujours et qu’il faut savoir saisir à bon escient.

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