L’innovation est un nom de genre féminin. En tout cas, c’est ce que le dictionnaire statue. Pour autant, dans les faits, ce mot est très fortement coloré de valeurs dites masculines.
Réfléchissez-y.
La plupart du temps, quand vous lisez un article qui traite de l’innovation, il fait par défaut l’apologie de la performance : toujours mieux, toujours plus, plus loin, plus intelligent, plus puissant, plus fort, plus beau, plus ergonomique, plus de technologie, de fonctionnalités, d’options… Quel produit ou service aura la plus grosse…réussite ? Le plus fort impact ? En quoi il est meilleur que celui des concurrents, qui sont autant d’adversaires?
Jusque dans les processus d’innovation, la présence majoritaire d’hommes a modelé des modes de management à l’image des valeurs (et des peurs !) qu’ils portent. Ces processus se veulent rationnels, calibrés, mesurés, etc. On imagine des bureaux réorganisés en salle d‘opération armée où la stratégie d’invasion d’un pays voisin est à l’œuvre ! Cette prédominance masculine est très liée à la société, l’éducation, les préjugés induits. Résultat: les équipes de R&D sont plutôt masculines, du fait que les femmes sont peu représentées encore dans les disciplines scientifiques et dans les industries.
Le genre féminin est davantage représenté du côté de la ligne « marketing ». Cela peut-il sauver les meubles ?
On pourrait se dire pourtant que le marketing et la communication autour de l’innovation pourraient laisser transparaître davantage de valeurs féminines, puisque les femmes y sont tout de même plus présentes.
Et bien non. Les services marketing restent souvent dominés par un management masculin et des décisions finales tout aussi masculines.
Beaucoup de nouveaux biens de consommation ou services avancent encore des arguments de vente faits pour séduire la part de nous qui veut toujours plus ou faire mieux que le voisin. Le marketing est assez codifié pour marquer au mieux els esprits (humour, provocation…) et joue sur des besoins, eux-mêmes ancrés dans la peur, l’envie, l’orgueil, l’avarice, la paresse, la gourmandise…Nous ne sommes pas loin des 7 péchés capitaux ! Normal : un produit est logiquement conçu pour répondre à un manque, que les consommateurs sont enclins à combler. Pour cela, les motivations les plus efficaces reposent sur nos petits travers d’humains, masculins et féminins.
Les valeurs positives ne font-elles donc pas vendre?
A priori oui, on commence à voir plus de publicités misant sur l’empathie par exemple. Cela touche rarement les biens de consommation cependant!
En somme, les femmes, et a fortiori des valeurs féminines, ont du mal à se faire entendre lorsqu’il s’agit d’innovation.
« Laisse faire les hommes, tu veux ? La concurrence, ça nous connaît ! ».
Les femmes ont prise sur l’innovation seulement dans les milieux où elles peuvent plus facilement accéder à des postes décisionnaires, des milieux féminins. Et encore, ceux-ci sont souvent managés, quand même, par des hommes !
Rien d’étonnant donc à ce que le filtre masculin opère sur les processus d’innovation et que l’innovation qui en résulte nous paraisse plus masculine que féminine. Puis après tout, ça marche non ?
L’innovation serait-elle donc fondée sur des valeurs guerrières et nos plus bas instincts?
Oui, évidemment, il s‘agit d’une guerre économique. Et encore une fois, le mot guerre repose beaucoup sur des valeurs et des désirs réputés masculins, sans que cela ne soit péjoratif pour autant. Messieurs ne prenez pas la mouche tout de suite !
Disons que l’innovation est un combat, qui met en jeu la vie des entreprises et de ses salariés. Mais l’innovation ne pourrait-elle pas trouver quelque vertu à exploiter aussi des valeurs plus féminines ?
La paradigme de la dualité
Nous aimons bien opposer masculin et féminin. En effet, nous sommes obsédés par l’étiquetage, la conceptualisation de notre environnement comme autant d’éléments duels, souvent mis en opposition. Pourtant est-il toujours nécessaire de miser sur l’opposition ? Deux éléments ne pourraient-ils pas agir de concert, du fait qu’ils sont plus complémentaires qu’ « en guerre »?
L’open innovation, une révolution?
L’open innovation pourrait-elle concilier ces visions ? Il est vrai qu’on y parle davantage de valeurs qu’on associe au genre féminin. L’open innovation met en avant l’ouverture, la collaboration, la créativité, l’intuition… Tous ces termes sont à forte connotation féminine.
Pourtant côté processus, l’open innovation a induit très peu de changement dans les processus des entreprises, qui restent gouvernés par le modèle de management classique, le contrôle, la rationalisation à outrance avec pour finalité la conquête de marchés. Les mêmes modèles semblent se reproduire et mettent en sourdine les modèles plus féminins qui pourraient poindre, pour peu que les entreprises profitent de ces mutations pour introduire des visions d’un nouveau genre ! Par conséquent, l’open innovation qui est présenté comme une révolution dans les entreprises et le management de l’innovation ne tient aucunement ses promesses car la vision de l’innovation n’a que très peu intégré les valeurs féminines.
Difficile donc d’imposer de nouvelles attitudes dans un management où l’hégémonie et les normes masculines règnent encore et marginalisent l’impact que pourraient avoir des modes de management qui reposent sur d’autres valeurs, des paradigmes différents.
Je ne dis pas qu’il faut tout renverser, mettre à pied les hommes et managers pour les remplacer par des femmes. Passer d’un extrême à l’autre, même si c’était possible sans heurts, n’aurait aucun intérêt et ne marquerait aucun progrès. Non.
Il faut viser un équilibre en intégrant progressivement des valeurs plus féminines de management de l’innovation dans les entreprises.
La métamorphose est déjà en marche avec les tentatives de rupture des silos, le management transversal de projets, l’intégration de compétences féminines, etc. C’est un début. Toutefois le modèle est à penser plus en profondeur car cela touche aux valeurs mêmes de l’entreprise et de son comité de direction. Cela ne peut pas se faire en un jour.
Une prise de conscience doit d’abord s’opérer chez tous, et en premier lieu chez les femmes elles-mêmes.
Nées, élevées dans une société patriarcale où les valeurs masculines sont encensées et les valeurs féminines dénigrées, les femmes ont tendance dans le monde professionnel à se calquer sur les valeurs dominantes et nient leur part de féminité, qui peut pourtant apporter beaucoup.
Chères lectrices, commencez par :
- réfléchir à votre attitude au travail. Quelles valeurs véhiculez-vous, et que vous en reconnaissez pas réellement comme vôtres ?
- Quelles valeurs aimeriez-vous porter dans votre vie professionnelle ?
- Choisissez-en une.
- Voyez comment vous pourriez progressivement faire intégrer cette valeur autour de vous, puis au-delà.
- Expérimentez !
Chers lecteurs :
- Analyser les valeurs qui dominent votre attitude au quotidien, notamment vis-à-vis des femmes qui vous entoure dans votre profession.
- Quelles attitudes ou valeurs vous semblent potentiellement freiner dans leur élan des apports de vos collaboratrices ?
- Si vous ne voyez pas, tentez de leur poser la question avec sincérité (sans qu’elles ne se sentent menacées). Demandez-leur comment leur avis, leurs idées sur des sujets pourraient être mieux considérés.
- Ecoutez-les et tentez, sans préjugés, sans jugement, de comprendre leur vision des choses.
- Expérimentez ! Intégrez au moins une idée qui aurait surgi de cette réflexion.
Tentons ensemble de faire tomber ces barrières ancestrales et voyons advenir davantage d’innovations responsables.
Osez les discours de Miss qui veulent voir la paix sur Terre. Osez l’utopie. Osez l’idéalisme. Osez l’amour et non la guerre. Osez le partage réel, la collaboration sincère.
Ayez l’ambition de faire de chacun de vos actes quotidiens, des actes de changement qui feront de votre monde, un monde meilleur pour tous (pas seulement pour vous !). Incarnez ce que vous êtes et laissez les autres, quel que soit leur genre, exprimer ce qu’ils veulent incarner dans cette société.